L'Union (Vitry-le-François) :  «On n'est pas les Lecico-Sarreguemines, on est les Pôle emploi»

Article de presse
21/03/2023

Une indemnité de 3 000 euros devait être versée aux 50 salariés de la faïencerie licenciés il y a deux ans. La liquidation de SB Ceramic, en 2015, a changé la donne. Aujourd’hui, plusieurs dizaines d’anciens de la faïencerie sont toujours au chômage.

  

Joëlle Bastien, secrétaire de l’union locale Force ouvrière, a prévenu ses anciens collègues de la faïencerie à la réception du courrier du mandataire judiciaire, il y a une dizaine de jours. Écœurés, ces Marnais ne veulent pas rester là.

La faïencerie de la Cité rose ne produit plus rien. Fini les sanitaires en céramique made in Vitry, estampillés « Sarreguemines France 1778 ». Il y a pourtant encore de l’agitation sur le site, notamment du côté du chemin du Désert.

Le 14 octobre, sur décision du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne, des déstockeurs hollandais ont obtenu les dizaines de milliers de pièces qui gisaient sur le site depuis juillet dernier, le mois de la liquidation de SB Ceramic. Cette société, créée par Hervé Pagazani et Michel Brandicourt, était née un an plus tôt. Le premier était gérant du temps de Lecico, le nom de la précédente société ; il avait décidé de conserver l’usine, implantée en 1884 dans la Cité rose. Avec SB Ceramic, 51 emplois, sur les 102 que comptait l’entreprise début 2014, avaient alors été maintenus.

Depuis mi-novembre, le grand déménagement des quelque 190 000 pièces restantes est en branle. Près de la moitié auraient été écoulées aujourd’hui. Éviers, tables vasques, cuvettes... sont vendus par lots à l’international. Laurent a fait du conditionnement il y a deux semaines, chemin du Désert. «  J’ai mis des vasques dans des cartons pour l’Algérie  », précise cet ex-salarié, à ce poste durant vingt ans.

 

Quelques-uns participent mènent le déstockage en cours

Une poignée d’autres anciens employés étaient aussi à l’œuvre dans les entrepôts. Un intérimaire appelé au pied-levé, en remplacement, faisait partie de l’équipe. «  Il est au chômage depuis dix ans  », commente Laurent, âgé de 48 ans. La mine des quinquagénaires assis à ses côtés mercredi s’allonge. Car l’activité ne court pas les rues pour ces hommes qui ont passé des années, voire des décennies, à la faïencerie. Pas davantage pour Kévin âgé, lui, de 27 ans. C’est d’ailleurs cet émailleur de métier qui a touché le moins d’indemnités, en juin 2014. Il n’avait travaillé « que » trois ans chez Lecico.

Dans les entrepôts, la semaine dernière, Laurent n’a pas eu de vague à l’âme. «  J’étais content de revoir des collègues, dit-il. Par contre, je serais revenu plus tôt, c’est sûr, ça m’aurait fait quelque chose.  »

En octobre 2013, le placement de Lecico en redressement judiciaire a conduit au licenciement de 57 salariés, il y a deux ans. Parmi ceux-là, quelques-uns sont partis à la retraite. La reprise de l’usine a permis à 51 autres de rester. L’implication de la Ville de Vitry-le-François et de la chambre de commerce et d’industrie chalonnaise a permis de maintenir l’activité. Ensemble, elles ont dépensé un million d’euros pour 8 hectares d’édifices, d’entrepôts, aujourd’hui vides en partie, et pour des espaces en friche (lire ci-contre). L’avenir de ce gigantesque espace situé entre la gare de Vitry, le faubourg de Saint-Dizier, et étendu de part et d’autre du canal entre Champagne et Bourgogne, est indéterminé. Comme l’avenir des salariés poussés vers la sortie en 2014, en 2015, ou peut-être même avant... en 2006, en 2003, lors de précédents licenciements.

 

« Pas des créanciers privilégiés »

Mercredi, à l’espace Herr à Vitry, des ouvriers licenciés en juin 2014, comme Laurent, se sont retrouvés dans le bureau de l’union locale Force ouvrière. Joëlle Bastien, son actuelle secrétaire et ancienne déléguée syndicale à la faïencerie, a reçu un courrier du mandataire judiciaire. «  SB Ceramic devait nous verser une indemnité de 3 000 euros si on ne retrouvait pas de travail, au sein du groupe Lecico, durant l’année après le licenciement. La lettre dit qu’on n’est pas des créanciers privilégiés, qu’on ne doit pas prétendre à cet argent. Mais quand toi, tu dois payer ton loyer, tu te débrouilles  », indique-t-elle. Le groupe se sent méprisé : «  C’est dégueulasse de faire ça. Avec la liquidation, ils ont récupéré 667 000 euros, mais le stock a été sous-évalué. On aurait mieux fait de prendre des éviers et d’aller les vendre nous-mêmes, on les aurait eus, les 3 000 euros.  »

Trois mille euros d’indemnité, quand Philippe et Frédéric n’ont même pas travaillé une demi-journée depuis leur licenciement, il y a bientôt deux ans. À 49 ans, Hassan a fait cinq jours de vendanges l’an dernier, c’est tout. Les indemnités de Pôle emploi arrivent à échéance en juillet pour ceux qui avaient moins de 50 ans lors du licenciement ; les quinquagénaires de l’époque ont un sursis supplémentaire d’un an.

La dizaine d’hommes réunis mercredi jurent qu’ils ne sont pas au chômage faute de «  chercher de boulot  ». Faute, non plus, de pointer dans les boîtes d’intérim. «  Nos CV ne bougent pas, mais il faut quand même y aller... », maugréent-ils. «  On n’est pas les Lecico-Sarreguemines, on est les Pôle emploi.  » Les formations suivies n’ont pas débouché ; aujourd’hui, plusieurs dizaines d’ouvriers, sur les 102 en poste à la faïencerie début 2014, sont au chômage.

  Jean-Marc a eu un contrat en remplacement, à la cuisine centrale de la communauté de communes Vitry, Champagne et Der située à Frignicourt. Il a fait six mois. Beaucoup mieux que les autres présents ce mercredi. Mais, en poste à la cuisine centrale, il a vu l'usine de frites surgelées McCain, pour laquelle il avait postulé avant, le rappeler pour un contrat de 18 mois à Matougues.  Jean-Marc grimace, s’il avait su...

 

Résolus à toucher leur indemnité

La plupart ont suivi la formation d’informatique proposée dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle, qu’ils ont accepté après leur licenciement. Durant un an, le salaire est en partie maintenu. «  Franchement, la formation n’a servi à rien. Pendant six semaines, c’était u n jour par semaine, le mercredi. D’une semaine à l’autre, tu oublies tout  », racontent ces Vitryats.

Nadine et Joëlle Bastien sont «  tranquilles  », à la retraite en réalité. Depuis le 1 er       novembre pour l’une, et à la fin du mois pour la secrétaire FO. Ce qui n’empêche pas la syndicaliste d’être à l’initiative de cette réunion, ni à sa collègue d’être présente. Finalement, autour de la table, seul Olivier semble tirer son épingle du jeu. À 45 ans, il s’est débrouillé de son côté pour obtenir un examen afin d’apprendre à conduire des TGV. «  Pôle emploi m’avait dit qu’il me fallait un bac électromécanique. En fait, non.  » Il attend la date d’entrée au centre d’apprentissage, où il ira étudier à Paris. Olivier sera défrayé pour le transport en train, avant, peut-être, de quitter la Cité rose.

Partir, c’est aussi ce qu’envisage Richard, qui a postulé à Nice, lors d’une visite à ses proches installés dans le Sud. Laurent a eu vent de nombreux postes à pourvoir à Commercy, «  des contrats en 5-8  ». Il faut, peut-être, travailler le samedi, mais surtout «  faire de la colocation  ».  Frédéric grimace à son tour. À 53 ans, il ne s’y voit pas et préfère pouvoir dormir chez lui, à la campagne.

Depuis près de deux ans, Frédéric postule sans succès pour travailler dans des élevages porcins. Il sourit silencieusement, il n’a pas de réponse à ses candidatures. Dans tous les cas, celle du mandataire judiciaire, sur l’indemnité, ne convient pas au groupe. Dans le passé, «  même quand ça n’allait pas  », ces ouvriers n’ont pas, ou «  peu  », fait de vagues. Certains le regrettent, et disent, cette fois, ne pas vouloir en rester là.

Élise PINSSON

Cinq Vitryats en CDI sur les 50 licenciés en2015

Difficile de connaître la situation actuelle des anciens de la faïencerie. De ceux licenciés l’an dernier, mais aussi de ceux qui les avaient précédés, en 2014. Pôle emploi, en tout cas, n’a pas souhaité en parler, pas davantage qu’Aksis, l’un des cabinets qui accompagnent certains licenciés dans le cadre de leur contrat de sécurisation professionnelle. Michel Valin, ancien délégué syndical CFE-CGC, fait aujourd’hui partie de la commission de suivi des 51 licenciés l’an dernier. D’après ce dernier, ils sont cinq, sur 51, à avoir retrouvé un CDI. Un autre est retraité depuis, et 22 personnes sont en formation longue ou courte, des sessions destinées à devenir soudeur, agent de sécurité, gestionnaire de paie, à mieux parler anglais... Quant aux 57 salariés licenciés en 2014, «  dix ont à nouveau un CDI, quinze sont en CDD, chiffre-t-il. Plus de la moitié n’ont pas retrouvé de travail, certains sont partis à la retraite. Le marché de l’emploi n’est pas facile, il faut des diplômes ou de l’expérience. Et ça se complique encore, passé 50 ans.  »